Le thème, objet de notre intervention, s’articule autour de 3 points essentiels :
- L’identité ;
- La stabilité ;
- La citoyenneté.
Traiter de cette question c’est faire la revue de l’histoire de la Mauritanie : son passé, son présent et son avenir ; car, on ne saurait cerner la problématique si on n’avait pas de réponses aux questions suivantes :
- La Mauritanie : quelle identité ?
- La Mauritanie est-elle un pays stable ?
- Les Mauritaniens ont-ils un sens élevé de la citoyenneté ?
1. Identité
La Mauritanie, héritière d’une histoire riche, est composée de diverses races/ethnies :
- Les Arabes (que l’on appelle aussi arabo-berbères) ou Maures ; il y a les Maures blancs et les Maures noirs (Haratines) ;
- Les Négro-africains (Peuls, Soninké, Wolofs, Bambaras).
La Mauritanie est le berceau de plusieurs dynasties/pouvoirs. Du côté maure, on note le mouvement almoravide qui est un pan très important de l’identité mauritanienne ; car il s’agit d’un référent glorieux, un mouvement religieux qui, parti du Ribat, avec des chefs aussi prestigieux qu’Abou Bekr in Oumar, Abdallah ibn Yacine, Youssef in Tachifine… a porté le glaive de l’Islam jusqu’en Europe, notamment en Espagne (Andalousie) et ne s’arrêtant qu’à Poitiers, en France.
Ce mouvement a connu, selon les historiens, la participation d’armées noires, en particulier celle conduite par le prince Lebi (ou Labba), fils du roi War Diabi, de la dynastie des Manna, deuxième dynastie après celle des Diaogo à diriger le Tekrur.
L’arrivée des Arabes Hassan et leur victoire sur les Berbères après la guerre de Charbouba a modifié singulièrement la face de la Mauritanie qui connaîtra ainsi des émirats dont l’émirat de l’Adrar, l’émirat du Brakna, l’émirat du Trarza, l’émirat du Tagant…
Du côté des Noirs, on note le royaume du Tekrur dirigé successivement par les dynasties déjà citées (Manna, Diaogo) et celles de Lam Tondjon, Lam Taga, Lam Termes et Lam Tooro, avant que le pouvoir dans cette contrée, devenue le Fouta, ne tombe entre les mains des Satigui Déniyankoobé sous la houlette de Koly Tenguela (en 1512), détrôné, quelques siècles plus tard (en 1776), par la Révolution Maraboutique (Toorobbe) de Thierno Souleymane Ball.
Ces diverses dynasties sont d’essence peule, alors que le royaume du Ghana, avec comme capitale Koumbi Saleh, est Soninké. Ce puissant Etat tombera sous le coup de boutoir des Almoravides, en particulier, mais aussi et surtout, selon la légende, du fait de la malédiction du Wagadu-Bida, du nom du serpent qui protégeait le royaume en échange du sacrifice périodique de la plus belle fille.
Quant aux Wolofs, ils régnaient essentiellement sur le Walo.
Arabe/Maures et Négro-africains entretenaient des relations souvent heurtées (razzias, batailles…), parfois apaisées (soutien réciproque, alliances en cas de guerre ; mariages…). A ce titre, il est bon de noter que plusieurs tribus maures ont une parenté très poussée avec les Noirs (exemple des Laghlal) et plusieurs Noirs, notamment Peuls, sont très apparentés aux Maures, s’ils ne sont, tout simplement pas, d’origine maure.
Il faut aussi relever la relation très imbriquée entre les Maures Trarza et le Walo dont la reine, Djembet M’Bodj, est l’ancêtre de certains émirs de cette partie de la Mauritanie.
En résumé, et à la lumière de ces faits, nous pouvons conclure, de façon liminaire, que la Mauritanie a une identité multiple sans être totalement antagonique.
2. Stabilité
L’histoire de la Mauritanie n’est pas un fleuve tranquille. Et la Mauritanie indépendante a connu, dans sa gestion, des hauts et des bas. Elle a été dirigée par le Parti du Peuple Mauritanien (PPM – parti unique) de Maître Mokhtar Ould Daddah jusqu’en Juillet 1978, date de son renversement par l’Armée. Durant son magistère, feu Mokhtar a été confronté aux évènements de 1966 et à la guerre du Sahara.
De 1978 à 2005, plusieurs officiers (le premier étant le Colonel Moustapha O/ Mohamed Saleck et le dernier le Colonel Mouaouiya O/ Sidi Ahmed Taya) ont dirigé la Mauritanie. Par la suite, la Mauritanie a connu un bref intermède, celui du Président Sidi Mohamed O/ Cheikh Abdoullah (qui a succédé à la transition de feu Ely O/ Mohamed Vall), avant qu’elle ne soit dirigée par des généraux élus Présidents (Mohamed O/ Abdel Aziz, en Juillet 2009, et Mohamed O/ Cheikh Ghazouani, à partir de Juin 2019).
Pendant toutes ces années, la Mauritanie a connu des instabilités notoires, dont la plus grave est celle des évènements de 1989 qui ont vu la déportation de milliers de négro-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali, et des milliers de Maures rapatriés du Sénégal, le tout accompagné de morts. Le pic de l’instabilité a été atteint dans la décennie 90 au cours de laquelle on a assisté à ce qu’il est convenu d’appeler « le passif humanitaire », somme des exactions, des exécutions extrajudiciaires et des révocations de plusieurs centaines de membres noirs des forces armées et de sécurité.
L’instabilité se mesurait aussi par le baromètre de la restriction des libertés (musellement de la presse du fait du fameux article 11, heureusement, aujourd’hui supprimé), l’interdiction de partis politiques (UDF/ère, Attali’a, Action pour le Changement…) ou le refus de leur reconnaissance (RAG, FPC…) et la répression de mouvements tels que IRA-Mauritanie, Touche-Pas-A-Ma-Nationalité… mais aussi politique (répression des manifestions du défunt FNDU, des protestataires contre les résultats présidentielle du 22 Juin 2019) et estudiantin…
3. Citoyenneté
L’esprit citoyen n’est pas très ancré. L’appartenance à la nation (la patrie) souffre de handicaps majeurs qui prennent le pas sur la citoyenneté : la tribu, la région, l’ethnie, les faveurs nées de l’exercice ou de la proximité du pouvoir.
On note une certaine tendance à faire fi des lois ou même de mettre le « maslaha » au-dessus de celles-ci.
La citoyenneté souffre aussi des préjugés liés aux classes, aux castes, tares que les Mauritaniens n’ont pas encore totalement éradiquées ; et ce, malgré que l’Islam, religion de tous les Mauritaniens, passe pour un ciment.
Le manque de citoyenneté est du aussi au fait que malgré plusieurs réformes, l’enseignement (l’éducation) n’a pas pu mettre en place un même « moule », en plus de créer une école de riches et une école de pauvres, symbolisées par le public et le privé.
La justice aussi a sa part de responsabilité, elle que d’aucuns accusent d’inféodation au pouvoir et de n’être pas la même pour tous. Et tous ces facteurs ont contribué au déficit de citoyenneté du Mauritanien.
***
L’identité, la stabilité et la citoyenneté sont des notions liées qui conditionnent la marche des Etats.
La Mauritanie, malgré son identité multiple, puisque multiculturelle, malgré le déficit de citoyenneté de certains et la stabilité qui dépend de plusieurs facteurs, a adopté plusieurs politique d’identité qui, même si, dans l’immédiat, n’ont pas donné tous les résultats escomptés, contribuent tout de même à l’amorce et à la construction d’un Etat de droit.
Parmi ces politiques d’identité, nous pouvons soulever :
- Les mécanismes et textes (surtout) juridiques adoptés pour venir à bout de la complexe problématique de l’esclavage/séquelles ;
- Le règlement/amorce de règlement de l’épineux « passif humanitaire » dont ont été victimes des Négro-africains ;
- L’expérience de l’enseignement des langues nationales qui, hélas aujourd’hui, a été freiné depuis la suppression de l’Institut des Langues Nationales (cet Institut devrait être réhabilité) ;
- Les amendements constitutionnels qui ont conduit à l’adoption d’un nouveau drapeau et d’un nouvel hymne national (à condition bien entendu que le civisme soit bien enseigné) ; etc.
En conclusion, si ces politiques sont poursuivies avec volonté et détermination, leur impact sera salvateur sur l’avenir de la Mauritanie dont la marche vers le développement est entravée par l’injustice que ressentent certains citoyens par rapport à l’Etat estimé non dispensateur de l’égalité pour tous.
Maître Mine Abdoullah
Avocat à la Cour
Président de la LMDH