C’est dans un arabe approximatif, mais fort expressif, qu’une mort silencieuse a consigné, depuis Fès, son testament par ces temps de coronavirus. Le pauvre hère qui squattait le quartier l’Habitat a confié ses dernières paroles à un papier carton avant de se donner la mort par strangulation : « Je crève de faim, il n’y a pas de soutien des autorités, des menteurs et des hypocrites ».
Le carreleur que fut le quinquagénaire n’aura plus à tailler, ciseler et coller… Il laisse ça à d’autres, plus forts que lui, qui ont eu l’heur de supporter tant de privations induites par le Covid-19.
De cette disparition là, personne ne parlera à haute voix ni dans la médina de Fès, ni dans les quartiers chics de la « capitale spirituelle » du Royaume. Pas le moindre signe de solidarité post-mortem n’aura lieu dans cette cité impériale où il n’y en a que pour les parvenus dont la réussite se mesure à l’aune des privations qu’elle laisse derrière elle, traces de l’éphémère passage de tous les parasites que le système ne s’est pas empêché d’enfanter.
Ni les autorités wilayales, ni ses prolongements de proximité caïdales, ne seront autrement gênées lorsqu’elles consigneront sur le registre des pertes humaines cette mort de plus. Pourtant, en haut lieu, des ordres stricts ont été donnés pour veiller sur la revivification des liens de solidarité. Un fonds spécial a même été monté du jour au lendemain pour venir en aide aux déshérités parmi les millions que compte le pays. Mais il faut croire que le meccano aura été égaré en cours de route, entre le centre de décision et la périphérie de l’oubli.
Les élus locaux auront-ils à coeur de crier leur colère depuis là-bas où ils officient ? Les députés se chargeront-ils d’interpeller les responsables du centre sur les déperditions des ordres enjoints aux périphéries ? Le chef de l’Exécutif qui s’est époumoné depuis le parlement sur la gestion parfaite de la pandémie daignera-t-il, au cas où il serait interpellé sur ce cas, -(et il faut imaginer qu’il n’est absolument pas orphelin dans le pays)-, à répondre sans se laisser emporter par ses émotions larmoyantes ?
Si la douleur et la colère doivent accompagner le défunt carreleur jusqu’à sa dernière demeure, il est opportun de rappeler que le plus révoltant dans l’épisode du Covid-19 est bel et bien la somme des fragilités que le pays a pu collectionner depuis l’indépendance. Ces millions de laissés pour compte que le système du « laisser-aller, laisser faire » a pu engendrer sans que ce triste « business as usuel » n’ait été remis à sa place. Que ceux qui nourrissent le moindre doute sur la portée, lourde de conséquences, de cette triste réalité prennent le temps de passer au crible les données que vient de livrer le Haut commissariat au plan (HCP). Il y a de quoi sauter au plafond ! Et dire que nos officiels s’offusquent à chaque fois que les données sur la situation du développement humain sont réactualisées à l’international…
Puisse cette fin tragique d’un carreleur lambda réveiller les consciences. Le Maroc n’est riche que par ses pauvres. Exploitables et corvéables à merci. Cette triste réalité appelle à être changée pour déplacer vers d’autres lieux le curseur qui fait dire aux dirigeants, fatalistes, que le Royaume est pauvre. Ce n’est pas un luxe que de le réaffirmer : il n’y a de richesse que l’homme. Et le Maroc ne saurait se débarrasser des miasmes de sa misère, réelle ou feinte, que par ses enfants. Croire le contraire n’est ni porteur, ni pertinent.