Les récits de ces femmes sont des histoires de vie ; une vie d’esclave. Elles sont des propriétés des maitres de leurs mamans. Car la tradition veut qu’on hérite le statut de sa mère. On est esclave par sa maman d’où l’esclavage par ascendance. L’enfant est la propriété du maitre de sa maman. Leur quotidien était le travail, tout le travail que même la famine ne peut l’empêcher. C’était aussi le viol et toute sorte d’actes dégradants. Libres aujourd’hui grâce à SOS-esclave, elles sont dans la radicalité de la pauvreté humaine : sans revenu car pas de travail, ni de toit adéquat que des squats. Ces femmes ne connaissent pas leur âge, n’ont jamais étaient enseignées (même l’enseignement religieux) et ne connaissent pas toujours les pères de leurs enfants... La vie des ces anciens esclaves qui demandent justice frise le misérabilisme absolu. Et ces histoires de vie se passent en Mauritanie dans la région du Hodh Chargui (Néma, Bassikounou, Outeïd Talhaya, Abbaga, Hassi Ehl Ahmed Messaoud, Nbeïket Lahwach et environs). Les victimes sont toutes mauritaniennes et les présumés bourreaux sont aussi tous mauritaniens. Récits...
« Mon nom c’est Vatma Mint Homody, à mon jeune âge j’ai été offerte par ma mère à ses maitres. Ma première tâche dans cette famille était de veiller sur leurs dromadaires, ensuite c’était leurs chèvres et moutons. J’affrontais seule la nature (les tornades, les vents...). Quand j’essaye, parfois, d’aller voir ma mère qui est dans un autre campement, pas loin du nôtre, j’étais rattrapée et battue. Si un animal s’égarait, c’était l’enfer pour moi. Leurs animaux ne doivent et ne peuvent pas se perdre ; je devais les retrouver, disaient toujours ces gens. Il est difficile pour moi de revenir sur mon passé. C’est atroce et inhumain. Aujourd’hui, je suis libre, Dieu merci. Comme mes enfants, je ne suis pas recensée, ma mère ne l’a pas encore fait car elle n’a jamais eu de papier d’état civil et mon enrôlement dépend du tien ».
« Je m’appelle M’Barké Mint Oumoulkheir MINT Sibrou. Les gens qui me retenaient me refusaient ce nom : ils m’appelaient M’Boyriré. Je n’ai retrouvé mon nom de M’Barké que lorsque je suis venue ici (Bassikounou). En captivité. Je trayais ; je travaillais la terre. J’étais souvent battue et en proie à la faim, dépossédée de tout de ce que je pouvais recevoir de quelques bienfaiteurs. Je n’étais pas payée. J’étais torturée et souffrais le martyre. Je n’ai jamais eu à apprendre. C’est leur mère qui ne vit plus qui nous avait acquises. Nous sommes Bambaras d’origine… ».
« Meriem Mint Bilal est mon nom et ma mère s’appelle M’Barké. Je suis d’une famille d’origine bambara. J’étais esclave au sein d’une famille qui avait enlevée ma mère pendant qu’elle était encore jeune. En partant, elle a laissé deux filles et un garçon. Des R’Gueibatt avaient pris le garçon qui allait mourir à la fleur de l’âge. Je travaillais sans relâche, même en étant malade on m’ordonnait de me lever et de travailler. On tâtait mon pouls pour me dire que tu n’a aucune fièvre tu feins d’être malade c’est tout. Je m’occupe des dromadaires ; des moutons et chèvres aux pâturages et je travaillais la terre.
Je ne connais pas mon âge. Je ne suis pas recensée, je n’ai pas de pièces d’identité. Je n’ai jamais eu des papiers d’état civil. La famille qui m’avait prise en captivité ne m’a jamais donné quelque chose, le peu qu’on a acquis en sortant de captivité je l’ai hérité de ma mère. Il s’agit de trois ou quatre moutons. Je suis sortie de captivité quand la famille a appris qu’une ONG sera de passage dans notre campement. La famille avait refusé de nous rendre notre liberté. «Vous devez payer une personne chargée de traire à votre place sinon recourir au service de femmes qui vont accoucher des enfants (destinés à être esclaves) pour qu’on vous rend la liberté », disait la famille qui nous a libérées que lorsqu’un cousin à elle est venu avertir sur la visite d’une ONG qui devait être sur place dans un ou deux jours. Il conseillait la famille de nous rendre la liberté. En nous relâchant, cette famille nous a dit de ne pas nous éloigner d’elle comme on pourrait se voir quand elle aura besoin de nous et vice-versa. Idoumou et son ONG (le représentant de SOS esclave à Bassikounou) nous assistent ; sans eux, nous serons morts. Que Dieu les bénisse. J’attends de l’Etat qu’il rende justice pour ce que j’ai vécu comme esclave. Ils ne nous ont jamais inscrits dans quelque école que ce soit, ni même recommandé de prier. Le père de famille ne l’a jamais fait. Ses enfants non plus ».
« Je m’appelle Marieme Mint M’Barké. J’étais en captivité chez les Ehel Bonane. Je m’occupais de leur bétail, travaillais la terre, cuisinais…jusqu’au jour où j’ai reçu la visite d’un groupe d’hommes avec qui ma mère était entrée en contact et qui m’a dit que l’homme qui me retenait en captivité avait été interpellé par les autorités, lesquelles voulaient me voir. Au départ, je croyais que les Ehel Bonane étaient ma famille. Quand je me mettais à protester, ils me rappelaient que je n’étais qu’une esclave, que je n’avais pas droit à la parole. Dans ce cas, tout dépendait de leurs humeurs ; des fois, ils me passaient à tabac, parfois ils se contentaient de me gronder. Je ne connaissais pas ma mère ; je croyais que j’étais de la famille dite Ehel Bonane. Si je la connaissais et que j’avais la possibilité d’aller vers elle ; je serais partie la retrouver. Mais les Ehel Bonane m’ont fait peur qu’en ville il y avait des suceurs de sang, que ma mère était morte. S’il me voyait en compagnie de quelques inconnus ; ils se disaient que celui-là va l’aider à fuguer. Ils ne me laissaient me rapprocher de personne et ma sœur que voici, je ne pouvais passer une heure en sa compagnie. J’ai vécu en captivité ainsi jusqu’au jour où Dieu m’est venu en aide et que des hommes soient venus m’informer que l’homme qui me retenait en captivité est interpellé par la police et que j’étais convoquée. C’est ainsi que j’ai pu venir à Bassikounou et voir ma mère que je ne connaissais pas. Je ne suis pas mariée ; d’ailleurs ; il ne laissait aucune autre personne m’approcher excepté les membres de la famille. On voyait les membres de la famille se marier mais, nous, on ne savait pas ce qu’était le mariage, on n’en avait pas droit. Si une des filles de la famille se mariait, la famille mettait une de ses servantes au service de la mariée. Ainsi, j’ai été mise au service d’une femme membre de la famille qui était à Bassikounou. La famille m’a ramenée chez elle lorsqu’elle a appris que ma mère était à Bassikounou. J’ai eu deux enfants en dehors de tout mariage. Je ne sais qui est le père. Nous étions tantôt prises par un Bidhane, tantôt par un Harratani ».
La sœur de Mariem Mint M’Barké
« Oui, les Bidhanes prennent leurs esclaves de force. Il arrive qu’elles échappent au viol ; à force de se débattre, elles arrivent à désamorcer les hommes qui finissaient par abandonner. Il arrive que le maitre esclavagiste, ses enfants tentent de violer leurs esclaves. Ils viennent au milieu de la nuit pendant que les servantes dorment. Je fuguais une nuit les mains liées pour échapper à un maitre-esclavagiste. Les maitres esclavagistes qui tentent de violer sont, pour certains, des célibataires, pour d’autres ils sont mariés. Leurs épouses ne disent rien ; elles ne sont au courant de rien, car les violeurs nous menacent de mort au cas où on aurait l’intention Les viols ou tentatives de viols se passent dans la forêt, loin des habitations ».
Mariem Mint M’Barké
« Maintenant, je suis mariée et mes deux enfants sont avec moi. Je n’ai pas eu droit à l’éducation. Leurs enfants devaient apprendre, mais nous, dès que l’une d’entre nous s’approche d’une ardoise sur laquelle est transcrit du Coran, on lui ordonne de s’en éloigner, en lui disant qu’elle était impure ».
La sœur de Mariem Mint M’Barké
« Si tu te permets de subtiliser une ardoise, que t’ailles retrouver quelqu’un pour qu’il t’enseigne le Coran et que les maitres esclavagistes s’en rendent compte, ils te battent et disent à celui qui voulait t’enseigner le Coran de ne pas enseigner leurs esclaves. Il m’est arrivé de voler une ardoise en allant m’occuper des animaux ; je suis tombée sur un homme qui m’a dit ‘pour toi de savoir lire et écrire la lettre Ya est suffisant’. J’étais tout le temps battue quand on me surprenait avec une ardoise, si bien que j’ai renoncé à apprendre ».
« Je m’appelle Mestouré Mint Bilal. J’étais une captive d’une famille bien méchante jusqu’à ce qu’elle dise de nous en aller. Nous avons souffert dans notre chair. La famille ne nous a jamais donné l’occasion d’apprendre, ni même recommandé de prier.
Notre mère a été enlevée par le chef de famille qui nous a réduits à l’esclavage. Il a enlevé notre mère pour en faire une captive et à notre naissance, nous sommes devenus esclaves de la famille. J’étais en captivité avec ma sœur, mon fils ainsi que ma belle-fille. Chacun d’entre nous a été affecté à un membre de la famille et avait comme toit une tente. Mon fils n’a jamais été inscrit à l’école, la possibilité était quasi-nulle car, en campagne, il n’y a pas d’école. Nous sommes venus ici parce qu’ils ont entendu dire que les autorités allaient faire un passage dans la localité où nous étions en captivité. A notre remise en liberté, on ne nous a rien donné en échange de nos services. Maintenant, nous servons ceux-là qui ont besoin de travailleurs de la terre et qui nous payent en échange de notre travail ».
Camara Seidi Moussa
Elmehdi Ould Lemrabot
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