[25/01/2018]    

Harratines : Identité esclave, docker ou pauvre mais...



En Mauritanie la manutention est à 95% un métier haratine. Ils sont parfois dockers de père à fils. Les dockers sont quasiment tous pauvres avec des travaux précaires. Et tous pensent, chaque jour est un autre jour où tout est à refaire… Habitants, en grande partie, dans les squats taudis, ils ont tous en commun la misère, la précarité, l’incertitude du pain du lendemain et tous gardent l’espoir d’assister un jour la valorisation de leur métier. Docker, un boulot harratines ? Pourquoi ?
60 ans et toujours docker
5665 dockers étaient inscrits sur la liste des manutentionnaires. Ils sont tous occasionnels ; différents des dockers professionnels qui, eux, travaillent dans les calles des bateaux. Après une mise à jour de la liste qui a concerné l’âge et l’aptitude physique, les dockers sont maintenant au nombre 2375 sur le registre. Ils sont tous aptes et âgés de moins de 60 ans. Ils chargent à 1500 UM la tonne, le prix de la tonne était de 800 UM avant leur grève en 2013. Les camions acheminent la même marchandise vers la ville distant du port d’environ 12 km à raison de 7000 UM la tonne. Un docker, s’il arrivait à travailler, gagne entre 10 à 15 000 UM par jour. Seulement au port, la manutention se fait à tour de rôle parmi les 2375 dockers inscrits sur la liste. On peut rester trois semaines sans être appelé. Ces gens qui travaillent du jour au jour sont soumis à une organisation rigoureuse. Tous doivent travailler mais personne ne doit être lésé. Alors quel qu’en soit la dèche on doit attendre son tour sur la liste. Par contre les dockers en ville n’ont pas de registre et déchargent à 3 ou 400 UN la tonne. En ville, la tonne a atteint 800 UM durant la période du mouvement des dockers du port avant de chuter à 400 voire même 300 UM. Les commerçants en ville ont réussi à diviser les dockers « chaque commerçant a fait appel aux anciens esclaves de sa tribu pour faire décharger ces camions moyennant un prix dérisoire. Et s’ils arrivent à demander une augmentation, les commerçants font appel aux maliens ». déclare Haj
Docker par ascendance ?
« Sur les 2375 dockers inscrits, les plus chanceux peuvent être appelés deux fois par mois mais toutefois durant le mois chacun de la liste trouve son tour de boulot » déclare Haaj. L’assurance d’un docker ne dépasse pas la porte du port. C'est-à-dire dès que vous débauchez, le bureau du port ne vous connait plus». Et Haj d’ajouter « notre situation à l’origine s’explique par l’esclavage. Les maitres de nos parents leur ont fait comprendre que leur paradis dépend de leur soumission à leur volonté. Ils leur ont dit qu’ils n’ont pas besoin d’apprendre et même la religion ils étaient exemptés. L’essentiel c’est être au service du maitre. Nous sommes les produits de cette situation et nous ne pouvons que devenir dockers. Car le fils d’un docker ne pouvait qu’être un docker. C’est notre identité, esclave ou haratine mais toutefois une infime minorité est sortie de ce rang car on en voit des haratines ministres... (Rires) »
Pour le sociologue Ethmane O.Jiddou « on constate que le métier de docker en Mauritanie est majoritairement exercé par des harratines. Cela s’explique par la relation traditionnelle entre les maitres et les esclaves où les premiers qui sont propriétaires des troupeaux et magasins confient les taches lourdes aux seconds. » Aussi, ajoute-t-il, « après l’urbanisation les harratines, anciens esclaves, non instruits, ne pouvaient être insérés ailleurs que dans le secteur de la manutention qui ne demande que la force des muscles. Et c’est pourquoi, on les voit au port et devant les magasins avec comme rôle charger et décharger les marchandises. »
Docker, le travail par la force des biceps est majoritairement un métier haratine. Ils exercent leur métier au port et aux magasins dans la ville de Nouakchott. Les haratines sont d’une communauté grandement touchée par l’esclavage et ses séquelles.
«Les dockers viennent d’un milieu pauvre et ils ne sont pas instruits. 95% des dockers sont des haratines. On peut dire que ce métier, chez nous, à l’origine, c’est un phénomène crée par l’esclavage et la stigmatisation. Les haratines quittent leurs maitres et ne peuvent plus faire appel à eux pour les aider. Ils font le boulot qu’ils trouvent. Ils n’ont pas honte de travailler pour vivre. Ils sont au port qui est un lieu de rencontre et de brassage des communautés des misérables» déclare Mokhtar Maghlah, socio-économiste.
Des Sisyphe optimistes
Les dockers du port autonome décrivent leur travail comme pénible et trop dangereux. Jiddou Fall, docker au port depuis 1983 déclare : « notre travail est difficile et économiquement sans rendement efficient pour nos familles. Nous sommes temporaires. »
C’est à croire que ces braves gens sont des Sisyphe avec l’optimisme en plus. Ils sont dans un recommencement éternel qui les plonge dans la misère. Mais ils gardent l’espoir que demain sera meilleur. « Nous rentrons chez nous parfois bredouille, sans sous. Mais nous revenons le lendemain car nous n’avons pas d’autre travail. Dans cette condition, il est difficile de subvenir à certains besoins élémentaires de nos familles. » Dira Jiddou Fall qui poursuit : « Voilà pourquoi c’est compliqué voire impossible pour nous de soutenir l’école de nos enfants. Ils sont dans la rue ou dans les poubelles pour ramasser des choses qu’ils revendent. Les plus chanceux d’entre eux deviennent des dockers, un travail des misérables et les autres tombent dans la délinquance, ils deviennent des voleurs. Et d’ajouter en souriant : « pourtant nous sommes le moteur de l’économie de notre pays. Nous voulons la valorisation de notre travail pour qu’il puisse nous offrir des moyens d’entretenir nos familles pour un avenir meilleur ».
Les dockers ou manutentionnaires en Mauritanie sont tous ou quasiment de la communauté harratine. Ils habitent en grande partie dans les kebbas. Les kebbas en Mauritanie sont appelés aussi bidonvilles dans certains grands centres urbains du monde. Ces habitations de fortunes représentent comme une excroissance des villes, peuplées principalement de pauvres. «Ces villes», qui sont à l’extrémité de la ville de Nouakchott, sont des greffons pourvoyeurs du port des marchandises et le centre urbain en main d’œuvre et autres travailleurs des tâches qui demandent la force des biceps. La kebba, c’est aussi un assemblage des taudis mal lotis et divisés en quartiers. Une spécificité qui fait d’elle une autre ville avec sa mode de vie propre. Cette autre ville se vide de tous ses hommes qui, chaque jour, partent à la recherche du travail pour subvenir au minimum nécessaire de leurs familles. La misère est parlante, inquiétante et injuste sous le regard des gens de l’autre ville. Une misère qui n’a rien entaché à la joie de vivre et de jouer des enfants morveux de ce quartier précaire. Des enfants qui viennent de finir de fouiner dans la poubelle de l’autre ville à la recherche d’objet qui peut être revendu. A la tombée de la nuit, au moment où les pères rentrent à leurs maisons, kebba se meurt dans une obscurité intenable. Le lendemain, kebba se réveille dans l’éternelle douleur, la douleur d’exister, de vivre. Et on commence à penser pour le pain du lendemain… C’est aussi ça la vie d’un docker, d’un haratine en Mauritanie...

Camara Seidi Moussa
Elmehdi Ould Lemrabot
« Copyright by: SOS-Esclaves/ Ministère du travail Américan (US Bureau of Democracy, Rigths and Labor - DRL) »

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