[02/04/2019]    

LA MAURITANIE PROFONDE : PERDRE L’ESPOIR D’EXISTER



Plus de 1.200 kilomètres au Sud-est de Nouakchott. Une très faible densité humaine au km². Une étendue désertique à perte de vue. A travers des pistes sablonneuses, cahoteuses et sinueuses, on croise quelques bêtes amaigries. Le pâturage n’est pas très généreux. Pour ne pas se perdre, on s’oriente à l’aide des pare-feux. Cap sur Tissiliti (la région du Hodh El-Gharbi), un coin perdu d’une autre Mauritanie profonde. Un coin des hommes et des femmes abandonnés et laissés à eux-mêmes. Leur quotidien est la pauvreté humaine dans toute sa laideur. Sa dimension sanitaire, éducationnelle, sociale voire même culturelle côtoie l’absence de toute politique de lutte contre ce fléau engagée par l’Etat.
Tissiliti est un village lointain du Sud-est de la Mauritanie. Il se situe dans la commune de Mabrouk, du département de Djiguéni dans la région du Hodh El-Gharbi. Un village de cultivateurs et d’éleveurs. Un village qui se vide de jour en jour de la quasi-totalité de ses fils ayant l’âge de travailler la terre. Des hommes et femmes qui ont opté pour la migration vers les grands centres urbains pour monnayer la force de leurs biceps. Il ne reste au village que les vieux hommes et femmes et les enfants qui dépendent de la vie et de l’existence des migrants. Car au village, les greniers sont vides. A cause des calamités naturelles, les récoltes de ces dernières années sont très déficitaires par rapport aux besoins élémentaires des populations. Il y arrive parfois même, devant les limites des traitements traditionnels des champs contre les prédateurs, que tout soit dévasté. A la rentrée du village, quelques ânes, 3 femmes autour d’une charrette d’eau sous la supervision d’un jeune homme d’environ une dizaine d’années. Non loin, des chiens imperturbables nous fixent de leur œil torve sans aboyer et des chevaux efflanqués avec des mouvements de leur crinière et leur queue comme pour nous souhaiter la bienvenue dans ce coin isolé de la Mauritanie. L’accueil du chef du village était sans appel «Notre problème essentiel est l’absence de l’Etat par des actions de nature à soulager notre souffrance. Une souffrance liée au manque d’eau, d’éducation et du minimum pour les soins élémentaires». Et d’ajouter : «Nos femmes et nos enfant passent des nuits entières à faire la queue au bord des puits d’environ 50 mètres pour avoir juste quelques litres. Et chaque année, nous enregistrons des chutes dramatiques et mortelles de femmes et d’enfants dans ces puits. D’autres partent quotidiennement à sept (7) kilomètres pour nous amener à boire»… Le décor est planté par le chef avec un regard saisissant et pénétrant et d’une sérénité indescriptible qui nous souhaite la bienvenue.

La soif est une réalité

Le village de Tissiliti est peuplé d’environ 4 à 5.000 habitants (200 carrés, c'est-à-dire chefs de famille). Il dispose d’un forage depuis 1986, trois autres puits dont deux construits par le village et le quatrième est de l’époque du «père de la Nation». L’eau de ce dernier est imbuvable. A cause de son degré élevé de salinité, un grand nombre d’animaux qui avaient consommé son eau sont morts. Les puits traditionnels creusés par les villageois constituent les principales sources d’alimentations en eau de la population. Mais devant l’importance de celle-ci ces puits tarissent trop rapidement. «Nous avons été voir les autorités de la région et même celles de Nouakchott la Capitale pour notre problème d’eau. Des missions sont venues ici et ont même identifié des points pour y faire des forages. Et on attend toujours les premiers coups de pioche», déclare un notable. Ici, la soif est une réalité quotidienne. Les femmes de la coopérative du village, d’une seule voix, se lamentent : «Le manque d’eau nous handicape et constitue un obstacle à tous nos projets. Si l’Etat veut nous aider, c’est simple : l’eau d’abord!». Et tout le monde rit…

Dans le même chapitre des demandes, le volet éducatif a été évoqué plusieurs fois. L’école de Tissiliti a vu le jour en septembre 2002. Elle est constituée de deux salles de classes en banco. La première a été construite en 2002 et la seconde l’année suivante. L’école de Tissiliti a ouvert ses portes avec 115 élèves avec un instituteur. Devant l’explosion démographique de cette école naissante, l’unique instituteur se voit dépasser. Alors, le village a écrit pour demander un deuxième instituteur mais la demande reste sans suite jusqu’à nos jours. Et Tissiliti se débrouille avec son unique instituteur, et le rang des nouveaux élèves grossit chaque année.

L’eau, l’éducation et la santé… Tissiliti manque de tout et même la joie. Ici, comme a dit un vieux : «On rit à toutes les occasions car rire ne symbolise plus la joie chez nous. Les pleurs de nos souffrances durant ces longues années ont atrophié nos glandes lacrymales : on n’a plus de larmes dans nos yeux; alors on rit dans la plus grande douleur».

Point de centre de santé. Alors aucun soutien aux femmes enceintes. Il y a quelques jours, à cause des complications suite à un accouchement, une femme a été transférée à bord d’une charrette pour Djigueni (15 km). Elle finira avec sa douleur à Nema (297km). Aux dernières nouvelles, la maman se porte bien mais le bébé est mort-né.

Les pratiques ancestrales

Au village, pour le suivi des femmes enceintes, on a recours aux pratiques ancestrales. L’accouchement, comme la circoncision, se fait encore traditionnellement dans ce coin de la Mauritanie. Le taux de mortalité maternelle, prénatale et néonatale est très élevé. Les complications liées à la santé des patients sont légion et les séquelles sont visibles mêmes pour des visiteurs néophytes. Sur cette question comme sur beaucoup d’autres, ici on se réfugie derrière le fatalisme : «La volonté de Dieu».

Ce coin isolé du Sud-est de la Mauritanie ne vit pas. Le manque de moyens permettant de sortir ces populations de cette situation de pauvreté humaine absolue n’est apparemment pas pour bientôt alors même que l’Etat doit prendre ses responsabilités en droits et en devoirs vis-à-vis de cette autre Mauritanie qui cherche à exister.

Tissiliti, Hariné, Mint Hameïdit (Bakhounou au Hodh El Charkhi); Ganata, Haïmet, Diarrhé (Kingui au Hodh El-Gharbi) pour ne citer que ces localités-là. Un monde d’isolés, d’oubliés. Un monde de la pauvreté, de l’ignorance et des horizons obscurs. Un recul dans le temps et l’espace de l’évolution humaine. Car ici, on vit avec l’archaïque et le rudimentaire. Mais Kingui et Bakhounou se maintiennent dans l’espoir, l’espoir de voir un jour leurs demandes aboutir pour le bonheur des populations. Une population qui a tout essayé pour exister, pour survivre. Elle a tapé à plusieurs portes : les gouvernants, les partenaires au développement, les chancelleries, les organisations non gouvernementales et… elle attend de finalement retrouver le sens de la joie… en réfléchissant sur tant de douleur.

Seyd Moussa Camara
(PR)

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