L'ÉCRIT OSÉ - Nous avons visionné et écouté avec un grand intérêt l’échange (daté du 8 juin 2025) entre l’animateur de la chaîne YouTube Radio zam-zam et le journaliste mauritanien M. Camara Seydi Moussa. Une riche et instructive causerie en langue soninké au cours de laquelle le fondateur et éditorialiste du journal la Nouvelle Expression a exposé, clarifié, interpellé, conseillé et rappellé à l’endroit de l’opinion publique soninké d’une manière générale et en particulier aux milieux soninké du Guidimagha, sa région d’origine. Il est revenu sommairement sur son cheminement d’intellectuel-acteur sur différents chantiers socio-politiques en Mauritanie. Anti-esclavagiste et humaniste connu et reconnu pour son engagement droit-de-l’hommiste constant notamment par sa plume qui inspire et alerte dans l’arène médiatique notamment francophone dans notre pays. Dans l’interview citée, face aux questions incisives de l’animateur, il a su aborder les thématiques avec profondeur et pertinentes nuances sur la nature de son engagement politique, ses relations avec certains leaders politiques (le président Biram Dah Abeid ou le professeur Outma Soumare) et ses initiatives liées aux contextes de l’écosystème politique de nombreuses années durant. L’homme de presse originaire de Dafort se définit comme un accompagnant et compagnon des principes et valeurs portés par de leaders et réfute implicitement le statut d’un suiveur obtus de qui que ce soit. Son mot d’ordre militant invite le personnel politique du Guidimagha à plus d’engagement sérieux sur du concret et sans manipulations des populations pour répondre à leurs aspirations diverses en termes de développement multidimensionnel.
J’ai beaucoup apprécié sa dialectique servie d’une belle dose d’empathie concernant la problématique de l’esclavage dans la communauté soninké. Faisant référence à quelques anecdotes, il se distingue valeureusement de beaucoup d’autres personnes (n’étant pas issues d’une extraction sociale servile) en indexant objectivement le Mal que constitue le statut d’esclave accablant amèrement certains membres de la communauté. Son approche est très différente de celle chez certains qu’on peut entendre ici et là consistant à ne pas admettre d’emblée le mal intrinsèque de l’appellation « esclave » et ses dérivés sociétaux. Ces gens peuvent s’exprimer sur la problématique en laissant entendre qu’on devrait arrêter l’usage du langage esclavagiste parce que les personnes visées ne veulent plus et non pour le caractère nuisible et avilissant de la tare en question. Ils se disent en eux-mêmes « on va laisser l’affaire malgré nous » et à la moindre occasion dans les enclos sociaux, ils n’hésiterons pas à raviver leurs mentalités et rassurer leurs subordonnés statutaires dans un brumeux parasitisme coutumier et féodalo-esclavagiste. Ainsi à propos, l’approche discursive de M. Camara Seydi Moussa dégage une nette sincérité qu’on peut y adjoindre son appel à une nécessaire conscientisation auprès des populations sur l’arsenal juridique consacré à la lutte contre l’esclavage et son apologie.
En ce qui concerne le vocable Ganbanaaxu, il y insère en substance une notion d’entente et de faire-bien ensemble dans la communauté et pas forcément une structure « khabila » (composante d’identité sociale). Je lui concède à la marge cette définition et j’essaierai de m’expliquer en conséquence. En effet, ces dernières années l’engagement d’éveil abolitionniste en milieux soninkés à travers le monde est porté et connu sous le mouvement Ganbanaxu (être égaux en dignité et en droits). Dans nos communautés qui fonctionnent avec une charpente sociale faite d’hiérarchies hermétiques et d’un suprémacisme structurel, les éléments sociaux (familles et membres militants Ganbanaaxu) qui ont rejeté les coutumes féodalo-esclavagistes et de subordination ont subi systématiquement beaucoup de brimades et de graves atteintes à leurs droits légitimes. Par exemple dans notre propre village Dafort, nous avons connu des expropriations des terres et diverses autres représailles décidées en comité villageois dans le but de contraindre les familles antiesclavagistes à renoncer à leur émancipation sociale. Les velléités de museler et de bannir les militants Ganbanaaxu se sont transformées en une opportunité idoine pour eux afin de s’organiser socialement et se prendre en charge par une relative autogestion restant à consolider. Les anciennes entités clanico-politiques ne peuvent plus être de références d’identification statutaire pour les familles Ganbanaaxu mises en une sorte de quarantaine, elles se sont choisi logiquement un référent traditionnel. À propos, on pourrait convoquer valablement la citation de T. Sankara : « L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère… »
Mon grand frère Camara Seydi Moussa est bien au fait plus que moi en la matière, les entités clanico-politiques en pays soninké ne peuvent intégrer dignement les personnes anciennement esclavagisées que si elles acceptent un éternel héritage de subordonnés statutaires dans le temps et dans l’espace. Ainsi, là où on parle de subordination sociétale et coutumière liée à une ascendance servile dans nos communautés, on subit moults discriminations dans l’échelle de valorisation sociale dans le matériel et dans l’immatériel. Les symboles liés au droit d’aînesse, à la chefferie coutumière et à l’imamat, on n’y aspire qu’en rêve parce que le régime est intrinsèquement verrouillé sans codes ni clés de déverrouillage, par conséquent sans vision concrète de s’auto réformer utilement. Je mets ici une récente contribution en support de mon présent avis https://ecrit-ose.blog/2025/04/13/%e2%97%8f-reflexion-et-societe-la-relation-esclave-maitre-ne-se-reforme-pas-elle-doit-etre-separee-pour-une-commune-utilite-publique-par-ks/ .
Ganbanaaxu comme une assise sociale d’une certaine manière « khabila », on ne l’entend pas comme une entité clanico-politique fermée et sectaire, mais plutôt une communauté d’appartenance et d’ouverture au sein de laquelle certaines valeurs sont en application et alignées aux textes fondamentaux de notre pays. C’est une aspiration à une pleine émancipation sociale et citoyenne arrimée au credo suivant : Ni maîtres ni esclaves de qui que ce soit.
• L’élément de l’interview YouTube de la plateforme Zam-zam https://youtu.be/UN8iNR_Mr0Q?si=WyTMXvU5sOeES1TK