L'ÉCRIT OSÉ — Cet ouvrage du sociologue M. Saïd Bouamama nous propose une révision biographique concise consacrée à certaines figures révolutionnaires de l’engagement anticolonial, anti-impérialiste et anti-néocolonial.
L’auteur situe dans les années 1440, les premières incursions agressives européennes (capture d’esclaves) contre le continent africain, du côté de la Mauritanie actuelle avec l’arrivée des portugais en 1441. On y apprend qu’ils ont évolué rapidement d’un système razzieur vers un « commerce » aux méthodes indirectes plus cyniques et scélérates avec des royautés locales parce qu’il y eut une résistance armée aux premiers contacts, en l’occurrence il cite l’avis de l’anthropologue sénégalais Yaya Sy.
Ainsi, on en déduit que les fers coloniaux, impérialiste et néocoloniaux qui ont tenu ou tiennent l’Afrique ou une certaine Afrique, trouvent leurs racines dans une histoire complexe loin d’une binarité simpliste.
L’auteur nous fait voyager à travers divers espaces et initiatives d’éveil et de contestation enclenchés naturellement parmi les afro descendants diasporiques et les africains du continent contre les dominations sociales, économiques et politiques de l’ordre impérialiste occidental. Il y a eu des fortes influences croisées périodiques entre des intelligences émancipatrices et révolutionnaires de l’univers afro-américain et de l’environnement afro-étudiant et ouvrier dans les métropoles colonialistes.
À la page 59, un passage illustre bonnement l’esprit du travail livresque axé sur ces figures révolutionnaires qui, d’une manière ou d’une autre, ont acquis ou bénéficié selon les contextes et les temps d’un héritage militant entamé auparavant. Il y précise : « Il n’y a pas de génération spontanée de révolutionnaires. La construction d’une conscience nationale et d’une pensée émancipatrice ne se fait pas du jour au lendemain. C’est le produit d’une accumulation d’expériences, d’échanges, d’échecs et de compromissions.»
De la révolution haïtienne qui mena à la proclamation de la « nommée » première République noire dans les années 1790, jusqu’à la révolution sankariste au Burkina Faso dans les années 1980, en passant par d’autres riches expériences contestataires incarnées diversement entre autres par Garvey, Du Bois, Césaire, Nkrumah, Fanon, Kenyatta, Um Nyobè, Lumumba, Malcom X, Cabral ou Ben Barka contre le joug esclavagiste, colonial, impérialiste et néocolonial, l’ouvrage disponibilise du contenu d’un grand intérêt explorateur intellectuellement.
Ce livre est d’une pertinente substance pour introduire sommairement aux données d’un engagement du REFUS de la soumission fataliste et de l’exploitation passive riche en péripéties sur une frise temporelle de quelques siècles.
• Quelques remarques retenues par notre attention :
1 – Le capitalisme occidental du profit sans limites morales fit du monde un grand marché et un immense champ de chasse. Et ce, avec une hypocrite couverture au nom d’un projet dit civilisationnel.
2 – Au sein des univers originaires sous contrôle politique de cet impérialisme capitaliste, certains esprits sincèrement humanistes se firent remarquer, par exemple le cas du militant anticolonialiste belge M. Jean Van Lierde. Devenu conseiller politique de Lumumba et l’intermédiaire à point pour la participation décisive du leader nationaliste congolais à la conférence d’Acrra en décembre 1958 chez Nkrumah sur « la libération non violente de tous peuples d’Afrique »
3 – La Tricontinentale et le conflit sino-soviétique
Elle était une ambitieuse initiative solidaire anti-impérialiste regroupant les révolutionnaires d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Bloquée par moment à cause des frictions entre les deux géants du bloc communiste de l’époque (soviétiques et chinois). À signaler que le conflit entre ces états fut à l’origine de leurs différentes positions souvent contradictoires dans les affaires de certains mouvements et pays en lutte anticolonialiste et anti-impérialiste sur le continent africain.
On peut y adjoindre la vision internationaliste des luttes anti-impérialistes notamment avec comme figures marquantes le marocain Mehdi Ben Barka, Che Guevara et dans son évolution Malcom X…
4 – Notre pays, la Mauritanie, était encarté dans le camp pro françafricaniste dans les années 1960 concernant les positionnements politiques et économiques du continent sous l’emprise néocolonialiste. Connu sous l’appellation « le groupe de Brazzaville », il était composé de nombreuses anciennes colonies françaises comme le Sénégal, le Niger, le Tchad, la Côte d’Ivoire…
L’autre camp pro révolutionnaire et soutien des mouvements anticolonialistes et anti-néocolonialistes s’appelait « le groupe de Casablanca ». Ce fut schématiquement l’expression de l’ « Afrique révolutionnaire » qui s’opposait frontalement au premier qui était indexé de docilité face aux enjeux phasiques liés à l’élan émancipateur du continent sur différents domaines. Parmi le camp révolutionnaire, on y compte nos voisins malien, algérien et marocain. Comparativement à nos jours, on constatera que notre pays se balade géopolitiquement en fonction de données variables (enjeux locaux, intérêts de circonstances dans l’Afrique subsaharienne, problématiques politiques internes, panarabisme utilitaire…)
5 – Mon kif intellectuel est attiré principalement par 3 figures qui sont : Frantz Fanon, Amilcar Cabral et Malcom X (devenu El Hadj Malik Shabbaz)
• Frantz Fanon : la teneur, le courage et le haut niveau de son verbe et de ses actions plaidant l’humanisme activiste et pour un cadre d’existence soignée parmi l’humanité dans sa diversité. Son analyse de la bourgoisie locale « générée » par le colonialisme parmi les peuples dominés, était d’une certaine profondeur et quasi transposable sous certains cieux après plusieurs décennies d’indépendance. L’auteur le reprend : «Au sein de cette bourgoisie nationale on ne trouve ni industriels ni financiers. La bourgoisie nationale des pays sous-développés n’est pas orientée vers la production, l’invention, la construction, le travail. Elle est tout entière canalisée vers des activités de type intermédiaire. Être dans le circuit, dans la combine, telle semble être sa vocation profonde. La bourgoisie nationale a une psychologie d’hommes d’affaires non de capitaines d’industrie.»
Donc… pensons aux hommes d’affaires d’aujourd’hui dans nos espaces économiques et socio-politiques. D’ailleurs chaque régime politique (civil ou militaire) fait émerger ses hommes d’affaires pour les mêmes desseins jamais pour un développement multidimensionnel sérieux du pays. Ces « agents d’affaires » qui vont servir les intérêts particularistes d’une élite politique et militaire trompe continuellement les petits peuples d’en bas. Cette élite qui, souvent n’a de projet que la manipulation clientéliste via un électoralisme cyclique.
• Amilcar Cabral : grand visionnaire et adepte déterminé d’un réalisme détonnant, il a su inspirer et agir à travers les réalités du terrain et se refuse tout dogmatisme idéologique sédimenté dans des théories politiques et économiques brutes. Sa notion de « suicide de classe » est une preuve de sincérité dans son engagement pour la libération des peuples en évitant tout patronage élitiste par le haut.
L’auteur fait référence en substance un extrait poignant de sa mémorable intervention lors de la troisième Conférence des peuples africains au Caire en mars 1961 : « …Il s’interroge sur la victoire du néocolonialisme dans plusieurs pays africains. Cet échec des mouvements progressistes est moins le signe d’une «crise de croissance» que d’une «crise de la connaissance», relève-t-il : trop de mouvement de libération sont coupés «de la réalité concrète» dans laquelle ils évoluent et négligent les «expériences locales» des populations qu’ils défendent. »
Mon petit mot de commentaire : l’idéalisme pompeux du verbal doit s’aligner et se dompter devant le réalisme du terrain vif afin de gagner avec méthodes et stratégies des espaces d’émancipation sociale, politique et économique.
• Malcom X : d’une extraction existentielle troublée par diverses contradictions liées au passé esclavagiste et ses conséquences impactant fatalement sa famille, il a un parcours intellectuellement courageux pour se retrouver une cohérence existentielle au final. D’un type de suprémacisme noir idéalisé par son groupe originel « Nations of Islam », il s’est ouvert une autre trajectoire à travers une réactualisation de son logiciel intellectuel et politique face aux réalités et aux voyages extérieurs notamment son pèlerinage à la Mecque (courant avril-mai 1964). Une vision internationaliste s’est affinée en lui et il devint la voix engagée et inspirante qui assoit définitivement son aura historique connue aujourd’hui.
6 – nombre de ces figures révolutionnaires furent éliminés politiquement ou physiquement par les limiers visibles ou invisibles de la pieuvre de l’international impérialiste et ses suppôts. Comme Um Nyobè, Lumumba, Nkrumah, Malcom X, Ben Barka, Cabral….
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25 juillet 2025
Bernerie-en-Retz | France