« Je suis citoyen de ce pays qui pense ne rien pouvoir attendre de nos gouvernants, si ce n’est qu’ils envoient la police me brutaliser, me frapper avec une atrocité inouïe. » C’est la mission que nos gouvernants se sont assignés. On ne peut et on ne doit revendiquer aucun droit — ni l’eau, ni l’éducation. Pour ce gouvernement, très cher cousin, le citoyen est cet âne docile qui accepte toutes sortes de charges sans rechigner ; sinon c’est la bastonnade, et pour cela le président Ghazouani le sait bien.
Penser seulement à dire le contraire, et l’on t’enlève pour te réduire au silence, dans l’autre prison à côté de la nôtre, comme mon cousin Youssouf. Honnêtement, quel digne fils mauritanien, conscient de ses droits et de ses devoirs, se sent libre ? Le Mauritanien qui tient à sa citoyenneté, à sa dignité, dans un pays à l’ère de notre temps - l’ère de l’intelligence artificielle - est profondément meurtri dans son âme par la marche de notre pays. Ce pays qui ne décolle pas ! Cette prison à ciel ouvert.
Ainsi, petit frère, tu as été enlevé par la police politique du système. Après ta sortie d’une réunion chez Biram, tes geôliers ont estimé que tu avais dépassé l’admissible - l’admissible voulu par le système et imposé aux citoyens. Pour ce système, ton droit à la liberté d’expression est encadré par l’interdiction de toucher aux symboles. Ton discours de cette soirée était de trop pour ce système qui décide pour nous.
Très cher cousin, ici on peut tout se permettre avec Allah (SWT) sans sourciller ; mais avec la crème de l’élite de la gouvernance chaotique mauritanienne, JAMAIS. Ce sont des symboles qu’on ne peut et ne doit toucher. Pour leurs turpitudes à l’encontre de la nation, nous devons juste larmoyer. On ne doit ni voir ni parler. S’il faut le faire, il faut choisir les mots, comme la méthode de l’âne sous la charge…
Le système veut entendre de nos bouches qu’on magnifie ce que nous subissons : applaudir fièrement l’exclusion d’un pan entier de la population, admettre que la discrimination est un fait construit par les ennemis de la nation… ; que nous avons le meilleur système éducatif où les enfants de l’élite se côtoient avec les enfants du peuple. Ces mensonges sont admis et nous devons les dire et les croire. Voilà, cousin, la Mauritanie à laquelle tu veux contribuer à la libération.
Sans t’offusquer, ce peuple du « zeydanisme » (la culture de la main tendue) n’est pas encore prêt à se battre pour sa dignité. Il continuera à souffrir de la soif, de mauvais soins, du manque d’électricité, de la faim, avec des écoles sans enseignants… Devant tous ces manquements, le peuple pour lequel tu te bats reste hagard. Pendant ce temps, la progéniture des auteurs de notre prison - de dehors - et de ta prison - de dedans - envoient leurs enfants dans le système éducatif français, turc ou américain, et certains traversent le fleuve, armes et bagages, pour faire étudier leurs enfants à l’étranger.
Petit frère, comme cet âne sous la charge, nous devons accepter d’être frappés sans riposter, car l’indignité a profondément gagné nos cœurs meurtris dans un pays trituré par des sangsues sans remords. Nous devons mentir à nous-mêmes, car c’est ce que le système nous enseigne. Mode d’emploi : « ma communauté, ma tribu, ma région » - jamais le Mauritanien de droit et de devoir ; jamais le concept de citoyenneté comme appartenance à un même et seul pays, nécessaire aux actions civiques qui pourraient refonder ce projet de nation mal pensé.
Petit frère, ta prison à côté de la nôtre est moins bruyante et moins stressante, mais surtout parfois trop silencieuse, peuplée d’hommes et d’histoires incroyables. Ils sont nombreux, là-bas, ceux qui sont enfermés pour avoir aimé la Mauritanie - une Mauritanie pour tous - exactement comme toi et notre Aboulaye Ba. Ici, dans la prison de dehors, rien de nouveau : on se plaît et se complaît dans la honte comportementale. Des Mauritaniens continuent à quitter Nouakchott pour aller se soigner à Richard-Toll, un village sénégalais ; nos parents du village partent à Tefsriga, un village malien, en délaissant Sélibaby et son hôpital. Voici la Mauritanie que le système demande d’applaudir.
Tes geôliers se rendront compte que la philosophie qui t’anime est héréditaire, sinon génétique. C’est l’expression de ton existence, de ta vie, qu’aucune privation ne peut anéantir. Nous sommes et serons ce que nous sommes, sans effort ni acrobatie accommodante ou contextuelle. Il nous a été inculqué, dans nos concessions familiales, que c’est notre raison d’être - notre mission sur cette terre qu’est la Mauritanie, une terre d’ancêtres dignes, bien trempés et courageux, où la triche, le mensonge, le vol et la peur ne sont ni admis, ni tolérés.
C’est une sève qui coule dans nos veines ; seule la tombe aura raison de nous. Avant ce décret d’Allah (SWT), Ghazouani et sa police - une police en faillite, et pourtant meurtrie elle-même - continueront à brutaliser de nombreux citoyens. C’est aussi le prix à payer pour que la Mauritanie existe. Mais c’est aussi l’aveu d’un pouvoir qui tâtonne et n’a plus rien à proposer à un peuple spolié et abandonné à lui-même.